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Les murs ont aussi des bouches

  • Diway
  • 8 juil.
  • 2 min de lecture

Le jour, les murs ont des oreilles, c'est bien connu. La nuit, les murs parlent. Ils crèvent d’envie de gueuler à la face du béton. Alors je sors, avec mes pinceaux, mon pot de colle, et mes fantômes.

Je colle des visages. Des visages que j’aime, que je respecte, que je traîne comme des talismans. Des artistes, des esprits libres, des insoumis, des rêveurs. Je les dessine à la main, noir et blanc, plein de petits traits pour faire vibrer les ombres, comme pour leur redonner une pulsation, un battement, une fréquence, que ça vibre sous la lumière crade des réverbères.

Sous leurs gueules, j’affiche des lettres, collées comme des cris. Poétiques, perchées, incandescentes. Pas une injonction, une invitation. Deviens-les. Inspire-toi. Traverse la ville avec eux dans la peau.


J’ai commencé par Richard Brautigan. Le premier de la bande. Poète paumé et tendre, archétype du doux dériveur. Ses bouquins m’ont tenu la main quand la mienne tremblait. Ils m’ont appris à regarder les nuages comme des histoires. Il est collé sur un mur près d’un parking, entre deux pubs pour des assurances. Il flotte là. Paradoxe permanent.



Ensuite, Agnès Varda. L’immense. L’œil, le cœur, le féminisme solaire. J’ai appelé ma fille Cléo en hommage. Je ne pouvais pas faire autrement. Varda, c’est la beauté des détails, l'engagement qui ne crie pas, mais qui mord. Une femme-paysage.



Puis est venu Frank Herbert, le prophète de Dune. Mon initiation à la SF, ma première claque cosmique. J’ai lu ses romans sept fois. (Combien de pages ça fait ? Je te laisse faire le calcul, mais ça fait beaucoup de poussière d'épice et de vertiges). Herbert m’a appris que penser, c’est survivre. Collé près d’un arrêt de bus, il attend. Il veille.



Alain Damasio, c’est plus récent. Je l’ai moins lu, mais je l’ai écouté, entendu, ressenti. Il parle avec le corps, avec le souffle. Il fabrique des mondes où la langue est vivante, rêche, palpitante. Il est collé à côté d’une école, là où les gamins crient, là où l’avenir pulse.



Et Arno. Le sale gosse tendre. Sa voix m’a tenu éveillé, m’a bercé dans mes insomnies, comme un vieux pote bourré qui te parle de l’univers à 3h du mat. Il est là, sur un mur en brique, dans une rue qui sent la bière tiède et le chien mouillé. Et pourtant, il rayonne.



“Les murs ont aussi des bouches”, c’est pas une série de portraits, c’est une déclaration d’amour. C’est un manifeste de papier et de traits, noirs. C’est ma façon de hurler en silence. Ma façon de rendre à la vie, à la ville un peu de ce que ces mecs m’ont donné. Ils m’ont sauvé. Je les fais parler. Et peut-être qu’un matin, quelqu’un passera devant un de ces visages et s’arrêtera. Peut-être qu’il sourira. Peut-être qu’il rêvera un peu. Peut-être qu’il se dira :"Brautigan Yourself."



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2023

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